Environs de Boston, États-Unis, juillet 2008

Immobile, assis en tailleur au centre de l’arène de trois mètres de diamètre, Rupert/Nathan revint à la réalité. Son rythme respiratoire s’accéléra. Il se sentait régénéré, comme chaque jour, par ces séances de méditation durant lesquelles il plongeait au plus profond de lui, paisible, en harmonie avec l’univers.

Il se leva et épousseta d’un revers de main le sable qui collait à ses cuisses.

Il se rapprocha du mur tapissé de hauts vivariums et contempla ses partenaires de combat. Le Crotalus adamanteus digérait depuis deux jours. Le Crotalus durissus terrificus s’était enroulé autour d’une pierre décorative, parfaitement immobile, au point d’adopter sa minéralité. Il exhala d’admiration devant le serpent qui était devenu une sorte de fétiche : son cobra égyptien de quatre mètres de long. Le Crotalus atrox, le dernier combattant tombé au champ d’honneur, venait d’être remplacé. Son successeur était un peu moins long. Tout aussi vindicatif toutefois, puisqu’il se redressa, prêt à en découdre, lorsque Rupert tapa du plat de la main contre la vitre.

Rupert leur sourit et leur adressa un petit signe de la main avant de quitter la chaleur lourde de la salle aveugle, nichée au cœur de la demeure de verre et de bois.

Il n’avait pas besoin d’eux en ce moment. Un gibier beaucoup plus difficile, quoi que bien plus séduisant, l’attendait : un tueur.

Il rejoignit la salle de travail et son installation informatique qui aurait pu faire saliver de convoitise n’importe quelle force de police du pays.

Il heurta une touche. L’écran noir disparut et le fond d’écran s’afficha. Il devait avoir un an sur la photo. Elle le serrait contre elle, riant à gorge déployée. Sa mère. Il lui devait son regard, sa myopie aussi, ainsi que ses cheveux, à ceci près que ceux de sa mère étaient plus beaux et plus soyeux, une crinière frisée blond doré. Il envoya un baiser-soufflé à la photo et pénétra dans un fichier baptisé : Boston.

Diane était repartie l’avant-veille, au matin, étonnamment sobre étant donné la quantité d’alcool qu’elle avait ingéré en sa compagnie. À sa grande surprise, elle lui manquait. S’il avait espéré cette collaboration, ou plutôt cette complicité, s’il œuvrait depuis longtemps pour qu’elle se concrétise, il n’aurait jamais pensé que des liens d’intimité, voire de dépendance, pourraient se créer si vite entre eux. Toutefois, jamais il ne s’était montré aussi sincère avec un être, et il ne doutait pas que la réciproque fût exacte. De façon déroutante, il éprouvait une confiance aveugle en elle, en moins de vingt-quatre heures. Il réfléchit. Pourquoi déroutante ? Ils se ressemblaient tant, jusque dans la volonté de payer pour leur involontaire culpabilité. Elle parce qu’elle n’avait pas su sauver sa fille, lui parce qu’il avait été incapable de défendre sa mère.

Il se concentra sur son travail de la veille. Du bon boulot. Du moins espérait-il que Silver le jugerait ainsi.

 

Règle n°8 : Les fauves se rapprochent toujours de la viande. Les pédophiles se débrouillent pour travailler au contact des enfants. Un tueur haineux de putes vit au milieu d’elles, ne serait-ce que pour aviver en permanence sa détestation, la justifier selon ses critères.

 

Diane l’avait décrit comme peu intelligent mais organisé. On pouvait en déduire qu’il ne nichait pas à l’endroit où il chassait, de peur qu’on puisse le reconnaître. Un petit boulot ou pas d’emploi, ce qui impliquait, a priori, peu de moyens pécuniaires. Il convenait donc de centrer la recherche sur les quartiers défavorisés dans lesquels on pouvait se loger à peu de frais, où les habitants savaient depuis longtemps qu’il valait mieux ne pas se mêler des affaires des autres et où l’on trouvait des putes peu exigeantes, en excluant ceux où le tueur avait frappé.

Rupert contempla le plan de Boston et de ses environs sur lequel il avait entouré ses choix : South Dorchester et Jamaica Plain, bien que la réputation un peu sulfureuse du dernier se soit émoussée grâce à l’affluence d’étudiants attirés par des loyers abordables et à une mixité ethnique assez réussie.

Il passa sur Google. Aucune association d’ambidextres n’était répertoriée, ni à South Dorchester ni dans Jamaica Plain. De fait, il n’en existait que deux dans Boston élargi à ses banlieues proches, l’une à Brookline, l’autre à Cambridge. Seule la première possédait un site assez bien fait, expliquant les missions, les formations, les activités de l’association, sans oublier un petit historique recensant les ambidextres marquants, de Glenn Gould à Jimi Hendrix en passant par Léonard de Vinci et, en effet, le Dr Albert Schweitzer.

Rupert s’étira de bien-être. Il ne s’était pas senti aussi alerte et pourtant détendu depuis longtemps. Depuis Paris. Il enviait à Diane Silver ce processus quasi inconscient qui permettait à son esprit d’organiser les données pour produire une conclusion fiable. Quant à lui, il devait se concentrer à l’extrême, débusquer les moindres détails. Une tâche laborieuse. Toutefois, il était encore un débutant en matière de traque, et la difficulté était grisante.

Durant la demi-heure qui suivit, il élimina nombre d’hypothèses, et soudain l’évidence s’imposa à lui. Il tapa dans ses mains de bonheur. Si le tueur appartenait à une association, c’était celle de Cambridge. Brookline a toujours été une extension assez huppée de Boston, et cela bien avant que John F. Kennedy y soit né. Il y avait donc fort à parier que nombre des adhérents de l’association qui y était située proviennent des couches supérieures de la société, soient bien habillés, parlent avec aisance. Bref, un ensemble qui ne pouvait que renforcer le sentiment d’infériorité du tueur et qu’il éviterait. En revanche, Cambridge est avant tout un quartier étudiant. Le poids social est beaucoup moins perceptible au milieu de cette mosaïque de nationalités, de coutumes. D’autant que la ligne de métro qui file vers Cambridge dessert également South Dorchester.

Rupert saisit ses conclusions, y ajouta les pièces du mince dossier concernant la femme de New York, et envoya le tout à l’une des adresses e-mails de son répertoire.

L’appel qu’il espérait ne tarda pas.

— Monsieur Teelaney, heureux d’avoir de vos nouvelles. J’ai sous les yeux le fichier que vous venez de m’envoyer. Il s’agit donc de deux enquêtes distinctes ?

— Tout à fait, Thomas. Je souhaite que vous vous en chargiez personnellement. Je veux dire… qu’il serait ennuyeux que vous les confiez à l’un de vos excellents collaborateurs.

— Je vois.

— Il s’agit d’affaires… très confidentielles.

— Oh ! Monsieur Teelaney… reprocha la voix maintenant attristée. Je travaille pour vous et votre famille depuis plus de vingt ans. Vous ai-je donné une seule occasion de douter de mon extrême discrétion ou de mes compétences ?

— Pardon, Thomas. Vous avez mille fois raison.

— Vous me soulagez. Vous vous doutez que l’homme sera plus facile à localiser. Nous avons une description physique, un périmètre assez limité, une occupation probable… En revanche… la femme va poser un gros problème, et il serait malhonnête de ma part d’affirmer que je réussirai à coup certain.

— Je suis conscient qu’il s’agit d’une mission très difficile, mais je sais que vous vous surpasserez.

— Comme toujours, monsieur Teelaney.

Thomas Bard, un ancien flic devenu détective privé, très privé, était réputé pour sa pugnacité et son efficacité. Pour preuve, son carnet d’adresses de clients, qui pouvait se vanter de posséder un nombre impressionnant des plus grosses fortunes du pays. Thomas connaissait tant des secrets – plus ou moins honorables – des puissants qu’il aurait pu, à lui seul, provoquer un krach boursier planétaire. Cela étant, en homme avisé, il n’ignorait pas que sa bonne santé, sa longévité et ses énormes honoraires ne tenaient qu’à un fil : celui du silence.

— Je les localise et ensuite…

Thomas était bien trop malin pour se mouiller dans une exécution. Cependant, il connaissait des professionnels, dont, bien sûr, il n’avait jamais entendu parler.

— Rien d’autre. Vous me prévenez aussitôt, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il s’agit, dans les deux cas, d’affaires qui me tiennent… très à cœur.

— Vous pouvez compter sur moi, monsieur Teelaney. C’est parti !

Rupert raccrocha. Sa satisfaction se mâtinait d’un gros regret. Il aurait tant aimé s’occuper lui-même de la traque. Le temps lui faisait défaut. Une autre fille allait mourir. Il n’avait pas le droit de prendre ce risque pour son simple plaisir. En revanche, il demanderait à Thomas de participer à l’enquête de New York. Thomas ne pouvait rien lui refuser, il le payait assez cher pour cela. Rupert savait que le détective mettrait un point d’honneur à retrouver la rabatteuse avant lui. Un beau challenge en perspective.

Il se leva. L’heure de l’entraînement était arrivée.

 

Règle n°9 : Conserver une forme physique et mentale sans faille.

 

Dans la tête,le venin
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